Libre voyageur

Flâneries indiscrètes dans un vaste monde

Angkor – Le Barattage de la mer de lait

Angkor, Cambodge.

Sur la chaussée menant à la porte sud d’Angkor Thom.

Selon une interprétation, qui ne fait cependant pas consensus à ce jour, il s’agit ici d’une représentation du « Barattage de la mer de lait ».

Qu’est-ce donc que le « Barattage de la mer de lait » ?

C’est le mythe cosmologique indien, la représentation hindouiste du monde.

Bon, je m’en vais vous raconter cette histoire, asseyez-vous en cercle autour du feu et ouvrez tout grand vos oreilles.

Au début des temps…

Au début des temps, le monde était couvert d’un immense océan de lait (de vache, de belette ou d’ornithorynque femelle, je ne me souviens plus bien).

Les dieux, ou « deva » et les démons, ou « asura » étaient mortels comme tout un chacun.

Ils allèrent voir Vishnou et lui demandèrent comment remédier à ce déplorable état.

Vishnou, blagueur comme pas deux, leur dit : « rien de plus simple, attrapez-moi d’abord le grand serpent Vasuki, qui soutient le monde [tout comme Jörmungand, le serpent de Midgard de la mythologie nordique, dont le corps encercle la Terre].

Puis arrachez une montagne de la terre, retournez-la, posez-la sur un pivot dans la mer de lait, et enroulez le serpent autour de la montagne.

Vous, les démons, vous allez tirer à gauche, et vous, les dieux, alternativement à droite. Ça va baratter la mer de lait, et c’est bien le diable s’il n’en sort pas quelque chose, genre un élixir d’immortalité.

Au pire, ça fera une énorme motte de beurre et on pourra se faire des tartines jusqu’à la fin des temps, ce qui sera sacrément long puisque les temps viennent tout juste de commencer ».

Les dieux et les démons se concertèrent et firent remarquer qu’il manquait dans ce beau système un pivot suffisamment solide pour supporter les rotations du sommet de la montagne, et que ça ne se trouvait pas sous le sabot d’un cheval.

Vishnou répondit : « Qu’à cela ne tienne, je vais m’incarner en une tortue géante dont la carapace pourra soutenir la pointe de la montagne. Fastoche ! Et, en plus, je vais appeler ce genre d’incarnation un avatar, ça claque, non ? Si jamais on fait un film avec ce nom, je vais me farcir de sacrées royalties ! ».

Comme quoi, on a beau être un dieu suprême, ça n’empêche pas la naïveté.

Le barattage de la mer de lait

Une fois le dispositif en place, les dieux et les démons se mettent donc à baratter.

Au début, rien : du lait caillé, c’est tout.

Puis, au bout de mille ans (ils ne sont pas immortels, mais ils sont gaillards, nos tireurs à la corde divins et démoniaques) d’effort constant, le travail commence à donner ses premiers fruits.

Je vous passe les détails, mais de la mer de lait sortiront entre autres choses la Lune, un éléphant blanc très classieux, la déesse de la Beauté, les Apsaras, danseuses célestes ravissantes et de surcroît à moitié nues, et, à la toute fin, une coupe contenant « l’amrita ».

L’amrita

L’amrita (ou « soma »), c’est comme l’ambroisie ou le nectar des Grecs, les pommes d’or d’Idunn chez les anciens Scandinaves, c’est donc un élixir d’immortalité.

Il faut noter que les dieux grecs, indiens et nordiques partagent le même trait : ils ne sont immortels que s’ils consomment un viatique, et ils peuvent être tués.

Ainsi, dans la mythologie grecque, Arès manqua mourir quand il fut emprisonné par les Aloades, il est blessé par Diomède pendant la guerre de Troie. Et Thor succombe sous l’effet du poison de Jörmungand, le serpent géant pré-cité, lors du Ragnarök.

Revenons à nos Indiens : les démons, mauvais comme des teignes, s’emparèrent de la coupe d’amrita.

Les dieux pleurèrent misère auprès de Vishnou, qui en avait plein le dos de se faire tourner une montagne sur la carapace. Mais comme il était bon bougre, il se transforma en la plus belle femme du monde, les démons la virent, et en restèrent figés, la langue pendante, et ces filous de dieux en profitèrent pour reprendre l’amrita.

On donna une tournée générale d’amrita chez les dieux, qui devinrent immortels, tandis que les démons, qui avaient pourtant fait leur part de la tâche, demeurèrent mortels.

Voilà donc toute l’histoire.

Ce que vous voyez sur l’image que voici, ce sont les démons, les asura, avec leur vilaine tête, tirant, ho hisse, sur le serpent Vasuki. De l’autre côté de la chaussée, hors champ, les deva font de même.

Pour finir, remarquez que mythologies indienne, grecque et nordique ont des points de ressemblance, on en reparlera.

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