Buenos Aires, Argentine.
À Buenos Aires, il y a une magnifique librairie dans un théâtre à l’italienne désaffecté, le lieu est absolument superbe quoique l’offre y soit un peu trop commerciale. On trouve ici une échoppe anglophone admirablement pourvue mais tenue par un jeune homme indifférent, et là une boutique présentant des raretés collectionnées par un barbu à la figure de grand sage.
À Buenos Aires, il y a de belles librairies à chaque coin de rue. Les Portègnes aiment les livres, et le plus souvent les libraires leur métier.
Ça me rappelle une vieille histoire.
En ce temps-là, j’étais passé à Tulle, en Corrèze, avec mon amie. Son père nous avait dit : « Allez voir le libraire sur telle place », alors nous avons trouvé la place, puis la librairie, et ce faisant, le libraire.
Nous rentrons dans son antre, des piles de livres sont posées un peu partout, un savant capharnaüm.
L’homme me voit et dit au débotté : « Assieds-toi donc. Rouge ou blanc ? ». « Ma foi, blanc ». Et il me verse un verre de vin. « Maintenant, parlons ».
Et, tout en buvant, nous avons parlé, parlé, de Céline, que je ne goûte point, de Faulkner que nous aimions tous deux avec passion. Nous parlâmes longtemps, nous parlâmes bien.
Le libraire était canadien, il avait fait office de cuisinier sur des bateaux de commerce, et entre deux services, dans sa cabine, il lisait, lisait.
Un jour, il avait décidé de devenir libraire, quelque part, n’importe où, mais en France, parce que c’était pour lui la patrie des livres.
Il avait débarqué en Bretagne, avait été voir l’homme qui y tenait un café-librairie près de la mer, sur un promontoire.
Le libraire avait dit au marin : « Reviens ce soir pour le dîner ». Au dîner, il l’accueillit, le fit asseoir et lui dit « Maintenant, parlons ».
Et, tout en mangeant, ils parlèrent, parlèrent, de tout ce qu’il fallait savoir pour devenir un vrai libraire.
Après, le Canadien s’installa à Tulle et ouvrit son extraordinaire librairie.
Des années plus tard, j’étais depuis séparé de mon amie, mais elle me donna, à l’occasion de mon anniversaire ou peut-être de Noël, je ne me souviens plus, un petit paquet en guise de cadeau.
Déchirant l’emballage, je trouvais un livre, un recueil de nouvelles de William Faulkner, « Go down, Moses », « Descends, Moïse ».
Le père de mon amie avait été voir le libraire de Tulle, il lui avait dit « Te souviens-tu de ce garçon qui était venu te voir en compagnie de ma fille il y a quelques saisons ? Vous aviez parlé, saurais-tu recommander un livre pour lui ? Un livre qu’il n’ait pas lu et qui puisse lui plaire ? ».
L’autre avait cherché parmi ses piles de bouquins et en avait extrait celui-là.
« Go down, Moses » est un recueil de nouvelles, et je n’aime pas les nouvelles, même celles de Faulkner, c’est une forme qui ne satisfait guère à mes inclinaisons.
Mais ce livre est plutôt un genre de roman composé de multiples histoires. Les liens sont ténus entre les nouvelles, inexistants voire, on éprouve cependant le sentiment d’explorer un univers dont les fragments disparates s’ajusteraient parfaitement, comme par magie.
Une merveille d’ouvrage, tissé par un maître.
L’occasion m’est ici donnée, alors je la saisis, de remercier le libraire de Tulle pour sa conversation et son intelligence, de remercier aussi mon amie et son père pour leur délicatesse et le cadeau qu’ils me firent.
Ray 27 juillet 2018
🙂